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Je ne suis pas médecin, mais je pense que…

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Le goût du vrai, titre emprunté à Nietzsche par Etienne Klein pour ce remarquable tract Gallimard qui se lit en une heure. Son propos commence par une allusion à un sondage du Parisien du 5 avril (je crois me souvenir que BFM avait fait la même chose), qui cherchait à savoir si la chloroquine était un médicament efficace contre le coronavirus. Seuls 21% des sondés ont dit ne pas savoir. 59% de oui (les fans de Raoult à ce moment-là), 20% de non. Il ressortait donc de cette enquête guignolesque, que près de 80% des gens interrogés affirmaient savoir ce que personne ne savait encore…

S’en suit une brillante analyse des biais qui nous amènent à confondre la croyance et le savoir. Accorder principalement du crédit aux thèses qui nous plaisent (l’émotion qui nous gouverne), croire une chose vraie puisque nous l’avons lue ou entendue (l’ipsédixitisme), être sensible aux arguments d’autorité ou à l’effet gourou, avoir tendance à parler avec assurance des sujets que nous ne connaissons pas (l’ultracrépidarianisme), faire confiance à l’intuition, à ce que l’on pense être du bon sens. Cette période de pandémie de Covid 19 a vu se propager de manière spectaculaire le populisme scientifique de quelques uns vers la population. Ainsi les avis se sont affichés partout sur des sujets aussi complexes que la virologie, l’épidémiologie ou la statistique. Les spécialistes se sont multipliés de manière exponentielle au sein de la population mais également chez certains politiques flairant une belle opportunité. « Je ne suis pas médecin, mais je pense que… »

N’oublions pas que c’est la mise à distance de la vérité qui permet l’émergence et le maintien des régimes totalitaires. Le réel est sommé de se taire, dit EK, il importe seulement de maintenir la croyance collective dans la fable officielle. Avec l’abolition de l’idée même de vérité, c’est la capacité à penser par soi-même qui est anéantie, l’exercice de l’intelligence devenant impossible. Tout argument contre le pouvoir en place n’est pas non seulement interdit, mais ne peut même plus se concevoir.

En étudiant les faits tels qu’ils sont, la science a des difficultés à se faire aimer, sauf par les scientifiques eux-mêmes. Donc, comment faire en sorte que la rationalité qu’exige la science devienne excitante, voire poétique, généreuse aux yeux du grand public ? C’est un des échecs de la communauté scientifique selon Klein : la science est lointaine et triste, cet éloignement ouvre grand les portes au populisme scientifique et nous détourne d’elle-même dans un inexorable cercle vicieux. Dans ce contexte, comment distinguer une connaissance d’une croyance ? Une information d’une fake news ? Une opinion d’un délit ?

La science priée de se mettre sous la coupe de l’opinion

Une forme de relativisme s’est installée, comme antidote à l’arrogance supposée des scientifiques. Pour autant, si l’on ne connaît rien à la théorie de la relativité, est-on autorisé à se dire en désaccord avec Einstein ? En réalité, et l’actualité récente le montre, on prie la science de se mettre sous la coupe de l’opinion. La science prétend atteindre la vérité tout en se réclamant du doute systématique, d’où la porte ouverte à la contestation de ce que disent les scientifiques en opposant notre propre intuition, nos convictions, notre ressenti.

Cet essai se termine par un plaidoyer pour une nécessaire mobilisation sur la question de l’environnement. Toutes les projections (scientifiques) sont alarmantes : changement climatique d’origine anthropique, diminution des espaces de vie, raréfaction des ressources, effondrement de la biodiversité, pollution des sols, de l’eau et de l’air, déforestation. Autant de phénomènes interdépendants. Avec une planète qui ne renouvelle plus depuis longtemps les besoins en ressource de l’humanité, parler de développement durable, c’est jouer sur les mots. Et Klein conclue sur le paradoxe de l’être humain : « s’il est seul capable, par la science, de découvrir les lois dites de la nature, il n’en est pas pour autant une être d’antinature. »

Cinquante six pages, 3€90. À lire absolument, et à enseigner d’urgence dès le lycée. Dans le cadre du nécessaire apprentissage vers une pensée autonome.

MT